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CfP Carte semiotiche - Annali 9 | Scene della nostalgia
Carte Semiotiche est une revue de sémiotique et de théorie de l'image à caractère international et interdisciplinaire, axée sur les images et leurs modes de production de sens.
La revue se veut un lieu de réflexion pour accueillir et encourager la pluralité des points de vue sur la dimension visuelle et sensible des langues et des objets culturels. Ses volumes monographiques, publiés chaque année, développent chacun un axe théorique qui rassemble des traditions académiques distinctes et accueillent des contributions de jeunes chercheurs et d'universitaires confirmés.
Carte Semiotiche se concentre sur le texte et sur la dimension analytique de la recherche, dans la conviction que l'analyse textuelle est l'outil le plus utile pour comparer les différentes approches disciplinaires, ainsi que pour une élaboration théorique efficace qui respecte la singularité et la densité des objets qu'elle traite.
APPEL À COMMUNICATIONS SÉMIOTIQUES, ANNALES 9
Scènes de nostalgie
édité par Mario Panico
La nostalgie est une passion qui a une histoire sémantique particulière. Bien qu’il soit composé de deux mots grecs, νόστος (nostos, retour) et άλγία (algia, douleur), le terme n’est pas de dérivation hellénique. Il a en effet été linguistiquement " inventé " par le Suisse Johannes Hofer (1688) pour désigner l'état de malaise physique qui saisissait les soldats contraints d'abandonner leur patrie (cf. Prete 1992 , Leone 2014). Au cours des siècles, la nostalgie a donc migré dans différentes sphères, étant reconnue à la fois comme une passion de l'espace, "douleur de l'éloignement d'un lieu" à laquelle on ne peut remédier que par un retour physique, et comme une frustration émotionnelle liée à la temporalité, en particulier à l'irréversibilité du temps passé, à l'impossibilité de le fréquenter à nouveau et à l'insatisfaction présupposée du présent (Starobinski et Kemp 1966, Jankélévitch 1974, Prete 1992, Teti 2020).
Dans le domaine de la sémiotique, c'est Algirdas Julien Greimas (1986) qui a proposé la première analyse lexématique de la passion nostalgique: Il a travaillé sur la nostalgie “française” à partir de la définition du dictionnaire Petit-Robert. Dans ces pages, la nostalgie est configurée comme une passion diaphorique, en équilibre entre la dysphorie et l'euphorie, qui permet au sujet de regretter, et donc d'être triste, mais aussi de désirer un objet qui l'a rendu heureux. En d'autres termes, la nostalgie caractérise un sujet qui, conscient de sa positionnalité actuelle, se sent déconnecté d'un objet de valeur qui appartient au passé, à une autre temporalité. La prise de conscience de cet état et la comparaison entre le présent et le passé poussent le sujet vers l'état pathologique de détérioration, qui est suivi de regrets.
La nostalgie place le sujet qui regrette devant le fait que quelque chose - ou quelqu'un - qui l'a autrefois fait se sentir bien, appartient désormais à un espace/temps révolu. La nostalgie, par conséquent, s'impose comme une activité de résistance émotionnelle à une perte irréversible qui attend et module le temps passé comme une finalité, quelque chose qui ne peut plus revenir, générant le regret mais aussi le désir actif de son retour, ici et maintenant.
En passant du niveau individuel au niveau culturel-textuel, l'isotopie de l'espace et du temps en relation avec la nostalgie revient dans de nombreuses contributions sémiotiques ultérieures qui s'appuient sur les pages denses de Greimas. On pense au travail d’Isabella Pezzini (1998) sur Fitzcarraldo de Herzog, à celui de Francesco Mazzucchelli (2012) sur la jugonostalgie, à celui de Lucio Spaziante dans la série TV (2012), à celui de Daniela Panosetti et Maria Pia Pozzato (2013) sur le vintage, à ceux de Gianfranco Marrone (2016, 2019) qui étudient le rapport entre la nostalgie, le futur, l’esthétique et la culture culinaire, à ceux de Massimo Leone (2014, 2019) sur le rapport entre la temporalité et les formes de consommation et sur la rétropie urbaine, à ceux de Piero Polidoro (2017, 2020) sur la nostalgie comme " effet de circonstance " à travers les médias.
Bien que poursuivant des objectifs différents, les thèmes en arrière-plan de toutes ces enquêtes sont ceux de la traduction et de l'évaluation/sanction positive du passé, qu'il ait été réellement vécu ou imaginé (Greimas 1986, Appadurai 1996). Ce sont deux questions qui ont également animé le débat extra-sémiotique sur la nostalgie, notamment les débats sociologiques et anthropologiques. L'année 2001 a marqué un renversement de tendance dans la pensée contemporaine. Svetlana Boym a publié son livre The Future of Nostalgia, dans lequel elle propose une double typologie de la nostalgie : " restauratrice " et "réflexive", qui correspond à deux manières différentes de se rapporter au passé, à deux attentes et évaluations différentes de celui-ci.
Dans le premier cas, le passé est conçu comme l'objet de valeur à désirer et à reconquérir par sa reconstruction à l'identique. Les images et les valeurs, l'esprit du passé sont utilisés comme une source épistémique et normative à laquelle se référer pour faire revivre un présent jugé insatisfaisant. Dans la sphère politique, par exemple, c'est le cas des mouvements nationalistes et anti-progressistes qui proposent dans les images du passé la clé de la crise du présent et de l'avenir. Le second type, en revanche, n'aspire pas à la réactualisation du passé mais remet en cause l'histoire personnelle, le sentiment qui caractérise la mémoire des expériences passées, amèrement acceptées comme telles.
Il ne s'agit évidemment pas de catégories monolithiques, mais de classifications analytiques d'une passion caméléon qui évolue d'ailleurs parallèlement au contexte dans lequel elle est étudiée, qu'il soit politique, médiatique, artistique, commercial, etc. (une liste vertigineuse des différents " adjectifs " de la nostalgie se trouve dans Ange et Berliner 2014).
L'objectif de ce numéro de Carte Semiotiche est de travailler sur les figures, les discours et les stratégies culturelles de la nostalgie, dans différents contextes et espaces de la sémiosphère allant de l'art, aux espaces urbains, aux environnements médiatiques anciens et nouveaux, aux pratiques politiques et quotidiennes. En particulier, nous invitons les contributeurs à réfléchir aux textes et pratiques dans lesquels le désir du passé est articulé et stratifié principalement dans des textes visuels.
L'idée centrale est de rassembler des contributions qui ne rendent pas tant compte de la dimension psychologique des passions (sur ce point, voir par exemple Routledge 2016), mais des rhétoriques discursives et idéologiques qui leur sont liées, capables de réarticuler la temporalité et de produire de nouveaux effets de sens du passé. Un accent particulier devra donc être mis sur les manières dont les groupes et les cultures se rapportent aux temporalités, en enthousiasmant leurs souvenirs, en produisant une image nettoyée du passé, et en inventant des croyances et des mythes utiles à l'auto-préservation.
Ces différentes resémantisations possibles du passé nous confrontent à la question urgente de redéfinir les différents caractères sémiotiques, philosophiques et anthropologiques de la nostalgie. Par conséquent, les articles proposés devraient étudier dans quelle mesure la nostalgie peut produire de nouveaux régimes de vérités, de chronologies et d'imaginaires, basés sur des fantasmes, des désirs, des peurs et des aspirations (cf. Affuso 2012). En ce sens, la nostalgie se présente comme une passion salvatrice et consolatrice qui non seulement embellit le passé mais aussi neutralise ses conflits afin qu'ils n'interfèrent pas avec la nouvelle version du temps passé.
Les domaines de recherche possibles - mais non exclusifs - suivants sont suggérés :